« Ghazal », de Bat Ye’Or : destin d’une famille juive sur les rives du Nil…

Tiré du nom de l’héroïne du roman, « Ghazal », « poème lyrique » en persan, se lit comme une longue mélopée désespérée, bercée par les eaux du Nil et tourmentée par les sables du khamsin.

L’auteure, Bat Ye’Or de son nom de plume, la « fille du fleuve » en hébreu, est une essayiste et romancière britannique d’origine égyptienne. Elle a vu la communauté juive s’effondrer avant d’être expulsée elle-même en 1957 sous l’effet de la révolution.

Ghazal se déroule au Caire en 1970. La Guerre des Six Jours avec Israël a eu lieu trois ans auparavant, et  le nationalisme arabe bat son plein ! Ghazal est pour Bat Ye’Or l’épilogue de la grande fresque de l’antique communauté juive du Caire, sa mise au ban, sa sortie de l’histoire. L’écriture touffue, arborescente, sensuelle sinue dans tous les replis d’une société dissonante, écartelée dans ses attentes, laminée dans sa pensée par l’action révolutionnaire.

Ghazal, jeune fille d’une grande famille juive qui a connu ses heures de gloire, vit en autarcie avec ses parents vieillissants. Ils ont été déchus de leur nationalité ; le père, désavoué de sa fonction au ministère de l’agriculture, espère encore une pension.

Voilà que sous l’accusation de complotisme, Ghazal se voit à son retour congédiée manu militari de son poste de secrétaire dans l’administration.

Tout le roman décrit sa longue errance dans les rues du Caire, pourchassée, épiée, suivie. Son identité vacille. Elle interroge la sémantique : de quel complot est-elle accusée ?

Elle tient un petit carnet où elle compile la nouvelle sémantique renversée attachée aux mots : nazis = israéliens ; complot : Etat juif contre La Palestine… Elle martèle les mots dans sa tête, s’entraîne à penser comme le régime la somme de le faire. Ainsi, dans la bouche de sa collègue Soad, venue la soutenir après son renvoi :

« Mais tu sais comment ça se passe, la calomnie se glisse dans les esprits… nous savons tous que ce sont les sionistes qui ont agressé Hitler et l’ont forcé à faire la deuxième guerre mondiale. Leurs complots ont provoqué  tous les massacres et les malheurs de cette guerre. Heureusement que les nazis ici nous ouvrent les yeux. »

Bat Ye’Or égrène dans son récit les noms d’anciens nazis recueillis par centaines après la Seconde Guerre mondiale, occupant parfois des postes éminents sous des noms d’emprunt musulmans.

Ghazal halète, oppressée, au détour des rues chauffées à blanc, le long des égouts à ciel ouvert, dans de longues marches qui la conduisent vers la seule personne encore capable de l’accueillir : Madjouna, la folle qui finira étripée par une foule en liesse.

Pour Ghazal, il faut partir. Mais comment convaincre son père, alité sur sa couche et dont on ne sait trop s’il fuit la réalité ou est vraiment malade ?

Ils vivent tous les trois avec la mère dans la propriété des Figuiers qui a vu naître plusieurs générations, et qui tombe en décrépitude sous l’œil sournois de l’employé de maison Abdou. Ghazal fuit la torpeur familiale, agrémentée de rares visites de coreligionnaires, frôlant les murs, se hasardant au dehors, dans une société totalitaire mus par des ordres impénétrables qui imposent leur loi.

Ainsi le téléphone leur est coupé, puis rétabli, et il faudrait y voir une mansuétude après coup du régime en place.

C’est un long cauchemar qui nous est conté, reflété par les eaux boueuses du Nil.

Ghazal, de Bat Ye’Or, aux éditions Les Provinciales. 174 pages. 18.00€.

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