« June Zero », de Jake Paltrow : retour sur le procès Eichmann

Nous sommes en Israël en 1961, à quelques semaines tout juste d’un événement historique majeur : la première exécution capitale de la toute jeune Nation juive.

Et ce sera celle du criminel nazi Adolf Eichmann, l’un des principaux instigateurs de la Solution Finale, qui a été retrouvé en Argentine et exfiltré non sans mal par les services secrets.

Toute la Nation frémit de ce procès qui vient juste de se terminer. Toute la Nation est dans l’attente du verdict qui suivra l’ultime recours en grâce. Eichmann sera exécuté, c’est certain, et ce sera un jour de juin qui n’existe pas, le « June zero », afin que personne, jamais, nulle part, ne puisse commémorer cet événement.

Le très beau film écrit par Jack Paltrow et Tom Shoval nous fait vivre cette période à travers le regard de trois anonymes parmi ceux qui approchèrent Eichmann, ceux qui furent dans l’Histoire mais dont l’Histoire ne retiendra pas le nom, ceux qui ne furent que gouttes d’eau insignifiantes dans le grand tourbillon des événements. Ce parti-pris, déjà, en lui seul, est significatif et passionnant.

Il y a, tout d’abord Haïm Amzaleg, officier de police d’origine marocaine, chargé de la surveillance, au plus près, du criminel nazi. Il est aussi rondouillard que parano, et vit dans la hantise perpétuelle qu’un désespéré ne vienne se présenter pour tuer Eichmann, et priver ainsi la Justice de mener son œuvre.

Haïm applique à la lettre la règle de ne laisser approcher que des juifs séfarades, comme lui, nettement moins bien considérés en Israël, mais moins motivés que des ashkenazes par la notion de vengeance.

Il y a ensuite Schlomo Zebco, patron d’une entreprise de tôlerie-chaudronnerie, qui va se voir confiée la charge de construire le four crématoire destiné à incinérer le corps d’Eichmann. Parmi ses employés, le tout jeune David Saada, treize ans, juif arabe, bagarreur et insolent, qui vient de se faire embaucher et qui va faire preuve — malgré son jeune âge — d’intelligence et d’habileté dans la construction de ce four.

Tout le film est baigné par un humour noir, légèrement cynique, à l’image de ce pied de nez de l’Histoire : l’ancien dignitaire du régime nazi a été réduit en cendres par un four du même type que ceux qui servirent à faire disparaître les déportés juifs.

Ironie du sort : nous ne sommes au final, juifs, nazis ou autres, que les mêmes cendres. Celles d’Eichmann seront dispersées en pleine mer, juste en dehors des eaux territoriales israéliennes.

Il reste enfin Micha, survivant du ghetto de Varsovie et de la Shoah, interrogateur en chef lors du procès d’Eichmann et qui est, dans le film, le porte-parole chargé de réfléchir à l’impact d’un tel procès et au sort que l’on doit réserver, désormais, aux témoignages, aux documents, à l’Histoire.

Le problème est clairement posé — et il fait écho à certaines interrogations toujours actuelles : faut-il au nom du devoir de Mémoire perpétuer les célébrations, et n’est-ce pas une façon de prolonger les souffrances et de ne jamais guérir du mal ?

Ce film possède l’immense mérite de poser des questions complexes sous la forme d’une fiction passionnante et en permanence agréable à suivre.

June Zero, de Jake Paltrow et Tom Shoval.

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