« Le monde de Steve McCurry » est à découvrir au Musée Maillol

On ne connait de lui, la plupart du temps, que sa Jeune afghane aux yeux verts. Mais cette réduction de l’œuvre n’est pas pour autant imméritée, et sans doute très révélatrice.

Cette Jeune afghane n’apparaît qu’à la toute fin de l’exposition : le regard, fameux, braqué vers l’objectif, comme pour nous prendre à témoin, pour nous communiquer son émotion, mieux rendre palpable l’idée qu’on peut être réfugiée et demeurer fière, qu’on peut être exilée mais toujours entière, qu’on peut se tenir debout en dépit des désastres.

Il a fallu au photographe surmonter une polémique absurde — tout à fait caractéristique de certaines hypocrisies contemporaines — autour de ses photos qui auraient été, d’après certains, « retouchées », travaillées, détournées, et, en tout cas, peu conformes à une sorte de charte implicite du photo-journaliste. Comme si le reportage de guerre, la chronique visuelle des conflits, procédait d’une sorte d’angélisme photographique : on appuie sur l’objectif sans vraiment savoir ce qu’on est en train de photographier. Ce serait la négation même du principe de la photographie et, en tout cas, une définition à mille années lumières de ce que propose Steve McCurry.

D’ailleurs, il ne se définit pas lui-même en tant que photo-journaliste mais en tant que « conteur visuel ».

Steve McCurry a parcouru, en quelques quarante ans de carrière, de 1978 à nos jours, la presque totalité de la planète, et il a couvert beaucoup de zones de conflit (Iran-Irak, Liban, Cambodge, Philippines, guerre du Golfe, ex-Yougoslavie, Afghanistan…), mais ce n’était jamais pour rapporter des anecdotes captées sur le vif ou des clichés aux airs exotiques.

Ce qu’il voit et ce qu’il saisit, c’est l’humain.

La grande majorité de son travail est constituée de portraits : ils sont tous là, au musée Maillol, hommes et femmes, passants et inconnus, gens de rien riches d’eux-mêmes, moines, artistes ou commerçants, voleurs, soldats ou colporteurs,  et enfants, enfants de partout, qui arborent un large sourire malgré la misère, la guerre ou l’épouvante.

Ce qui est frappant, par-dessus tout, c’est la façon dont le photographe a su saisir leur beauté : qu’ils soient jeunes ou vieux, édentés ou sexy, miséreux ou en tenue de fête, mendiants ou armés pour la guerre, ils sont beaux. De cette beauté émanant de l’intérieur, de cette beauté de ceux qui dansent leur existence et pirouettent face à la mort. Il est surprenant de constater comme Steve McCurry est parvenu à les mettre en confiance, à les amener à fixer l’objectif, avec fierté et détermination, et se laisser ainsi saisir par l’appareil photo dans leur quotidien, que ce dernier soit fait de prières ou de balles perdues.

Steve McCurry est celui qui sait dire, montrer, l’étonnant dans le commun, l’extra dans l’ordinaire, et coloriser brillamment le noir et blanc terne du quotidien.

Avant de songer à devenir photographe, Steve McCurry voulait être cinéaste et, lorsqu’il évoque sa démarche, sa préparation, ses voyages d’exploration, il parle, avant même de fixer sur la pellicule le premier visage, de « trouver une histoire ». Comme si, fondamentalement, il voulait raconter : « conteur visuel ».

C’est bien ce qu’on ressent, profondément, à travers ce virevoltant crépitement de couleurs, cet embrasement des lignes et des courbes par lequel il parvient à redonner à ses modèles dignité et fierté, en dépit de la pauvreté, de l’horreur ou de la guerre.

Steve McCurry nous dit, de photographie en photographie, l’histoire de chacun qui sera, au final, l’Histoire de tous.

Le monde de Steve McCurry, jusqu’au 29 mai 2022 au Musée Maillol.

Si vous désirez aller plus loin :

Portraits, de Steve McCurry, aux éditions Phaidon (en anglais). 496 pages. 19,95€.
Les histoires à l’origine des photographies, de Steve McCurry, aux éditions Phaidon. 304 pages. 29,95€.
Enfants du monde. Portraits de l’innocence, de Steve McCurry, aux éditions La Martinière. 208 pages. 50,00€.
À la recherche d’un ailleurs. Photographies inédites, de Steve McCurry, aux éditions La Martinière. 208 pages. 55,00€.
Une vie en images, de Steve McCurry, aux éditions La Martinière. 392 pages. 65.00€.

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