« Plantu-Reza : Regards croisés », actuellement au Musée de l’Homme

Cette histoire n’est pas récente, elle a 40.000 ans. Parce que c’est l’histoire du trait, du signe, du dessin. Et cette histoire, depuis toujours, est destinée à représenter, témoigner, rappeler, dénoncer.

Tels sont bien sûr les buts que se sont fixés Jean Plantureux, dit Plantu, dessinateur de presse, et Reza Deghati, photo-journaliste, d’origine iranienne et contraint de fuir son pays. L’un, Plantu, se dit incapable de photographier et, comme de surcroit, il ne se sent pas appartenir au milieu des intellectuels, il dessine. L’autre, Reza, s’affirme nul en dessin, alors il photographie.

Depuis sa plus tendre enfance, ce qui motive Reza, par-dessus tout, c’est la volonté de montrer la beauté sous toutes ses formes, et de dénoncer les injustices, quelles qu’elles soient : ces deux postulats de base ne sont pas, à ses yeux, contradictoires mais complémentaires. Alors il « dénonce en beauté ».

De la même façon, pour Plantu, une opinion — la base même de son travail — nait dans le cerveau, passe par les yeux, et aboutit au ventre.

« L’opinion est quelque chose qui se situe entre le cœur et les tripes. »

Plantu.

Il est donc parfaitement clair pour ces deux-là que, lorsqu’ils attestent des maux dont souffrent nos sociétés, occidentales ou orientales, américaines ou asiatiques, ils le font sans jamais négliger l’humanité, la belle humanité, la tendre humanité.

Leurs thématiques sont les mêmes : ils évoquent les guerres, les religions, les intolérances, les racismes, les régimes dictatoriaux ; ils montrent des êtres humains qui pleurent, qui souffrent, qui meurent ; ils disent la planète qui se réchauffe, l’eau qui se raréfie, les richesses naturelles qui s’amenuisent ; ils évoquent les exodes massifs, les exils violents, les déportations dramatiques. Et ils le font sans jamais se départir du goût pour le travail bien fait, la démarche élégante, l’esthétique soignée.

Pour cette exposition, l’un, Plantu, s’est emparé des photographies de l’autre, Reza, pour les prolonger, les enrichir, les chérir, avec ses feutres, ses huiles et tout son respect.

Cet oiseau qui s’envole dans un ciel d’Israël-Palestine, au-dessus des eaux du Jourdain, Plantu lui ajoute une colombe qui poursuit son vol alors que, sous elle, les bombes éclatent et les balles fusent. Sait-elle, cette colombe, symbole si tendre de la paix, qu’elle vole au-dessus des conflits et des tragédies ?

En Turquie, en 1994, Reza saisit au vol une image étonnante : deux gosses transportent un téléviseur brisé, par l’écran absent duquel on aperçoit, au loin, un groupe de combattants armés et prêt à en découdre. Comme si le média, même fracassé, transmettait encore l’image de la violence, comme si cette violence s’imposait en permanence, en tous lieux, de toutes les façons.

Plantu surmonte l’image du dessin d’un crieur de journaux proposant les dernières nouvelles ; mais celles-ci ne se présentent plus sous la forme de la presse écrite traditionnelle, ce sont des ordinateurs qui sont tendus à bout de bras. L’image est dans l’image, toujours présente, toujours vraie. Et l’information subsiste, à sa façon…

Ou encore, cet énorme crocodile prêt à dévorer sa proie et contre lequel le pauvre dessinateur ne possédait, en tout et pour tout, que son stylo. Ce dernier est venu se planter entre les mâchoires de la bête. Et comme fond sinistre à ce dessin provocateur, figure une photo de Reza. C’est la  photographie d’une simple fenêtre qui vient à l’instant d’être fissurée par une balle : le verre n’a pas éclaté, il est toujours présent, et il entoure d’une irisation multicolore l’impact de la balle. Cette balle, c’est la guerre, c’est l’ensemble de tous les conflits qui martyrisent, en permanence, notre planète.

Ainsi chaque dessin, chaque photo font mouche et cernent, avec plus de précision qu’une longue analyse, leur sujet.

Plantu et Reza disent en image, avec au fond de leur regard une profonde humanité et une profonde sensibilité. Pas étonnant que cette exposition soit organisée par le Musée de l’Homme puisque c’est une exposition profondément humaine.

Plantu-Reza : Regards croisés, au Musée de l’Homme jusqu’au 31 décembre 2023.

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