Salzkammergut, capitale européenne de la culture 2024 : le musée Lentos de Linz

Aux désormais lointaines origines du musée Lentos se trouve le rêve fou d’un illuminé mégalomane, un certain Adolph Hitler.

Hitler avait passé son enfance à Linz et il envisageait placidement d’y passer  sa retraite ; il se voyait consacrer ses dernières années à l’art pictural, perché sur la terrasse de ce qui devait être son musée personnel, l’édifice construit pour lui et qui contiendrait sa collection d’œuvres d’art, le tout au débouché de la plus grande artère de la ville et face au pont traversant le Danube.

De ce projet pharaonique ne subsistent que le pont, toujours nommé « Pont des Nibelungen », et deux bâtiments sur les trois qui étaient prévus, de part et d’autre de l’avenue principale et qui désormais abritent l’Université : le savoir pour tous remplace la volonté d’un seul.

Quant au musée initialement prévu, la municipalité, après avoir hésité sur son emplacement, a décidé de lui faire bâtir l’actuel édifice au bord du Danube.

A la mort du Führer, la collection comprenait soixante-dix œuvres d’art qui, pour la plus grande partie, lui avaient été fournies par Wolfgang Gurlitt. Ce dernier d’ailleurs avait estimé, après la guerre, que le musée devait porter son nom. S’il se chargeait ainsi d’approvisionner Hitler en œuvres d’art, c’est que Wolfgang Gurlitt voulait gommer trois tâches majeures de son existence : d’une part, ses origines juives ; d’autre part son passé d’escroc notoire dans son activité de marchand d’art ; et enfin, de manière somme toute paradoxale, son goût affiché pour l’art moderne.

Projet du Fuhrermuseum, Linz (photo © Archiv der Stadt Linz).

Gurlitt avait été, dès l’entre-deux guerres, le soutien en Allemagne et en Autriche d’Oscar Kokoschka et d’Henri Matisse. Hitler, pour cette raison précise, se méfiait de lui et préférait les conseils avisés d’Hans Posse, lequel pourtant ne se privait pas de ridiculiser les goûts du Führer en matière de peinture. Le musée actuel a d’ailleurs conservé, à titre de curiosité, un ou deux exemples de ce qu’appréciait le maître de l’Allemagne : en particulier, ce Spielende Bauemkinder (Enfants jouant à la ferme, 1941) de Fritz Frolich, dans lequel cinq bambins, inévitablement blonds aux yeux bleus, gambadent dans une campagne d’opérette et une nature de pacotille.

Mais c’est seulement à partir des années 90 que les autorités ont commencé à se bercer sur les origines de la collection personnelle d’Hitler : sur les soixante-dix objets d’art que possédait le Führer, treize avaient été dérobées à des familles juives. La visite du Musée débute d’ailleurs par les photographies de six toiles qui ont été restituées à leurs légitimes propriétaires : parmi celles-ci, le célèbre portrait de Gustav Klimt, Damenbildnis, daté de 1917.

Lorsque les héritiers juifs n’avaient pas les moyens financiers d’entamer une action en justice, ils se constituèrent en collectif et, lorsque les œuvres étaient retrouvées et vendues, ils se partageaient à parts égales le fruit de ces ventes. Avoir eu un ancêtre propriétaire d’un tableau de maître n’était pas, pour autant, synonyme de richesse matérielle.

L’année prochaine, en 2024, la proche région du Salzkammergut deviendra Capitale Européenne de la Culture. A cette occasion, le Musée Lentos sera partenaire de l’événement et ce, bien que Linz ne fasse pas partie de la région en question : c’est que la plus grande partie des œuvres spoliées par les nazis appartenait à des propriétaires vivants justement dans la Salzkammergut.

L’exposition au sein du musée Lentos et dans différents autres lieux – Bad Aussee, Lauffen… -, se nommera Le voyage des images, « Die reiser der bilder », et racontera la façon dont de nombreuses œuvres furent acquises par achat pour des sommes dérisoires, volées et aryanisées en vue de pourvoir le « Führermuseum ».

Dès sa réouverture en tant que musée, le lieu, par une sorte de facétieux pied de nez à la tragédie de l’Histoire, porta un nom celte : lentos ; dans la vieille langue celte, lentos désigne un coude et fait référence au fait qu’à la hauteur de Linz le Danube dessine justement un coude.

La tradition séculaire l’emporte sur le monstre nazi. De plus, le musée est devenu « musée d’art contemporain » et accueille en son sein toute cette production moderne qu’Hitler méprisait et traitait d’art dégénéré. Désormais, les places d’honneur sont consacrées à Egon Schiele et  Baltasar Lobo. Désormais, Andy Warhol côtoie Franz Glaubacker, Georges Mathieu est voisin de Fritz Frolich. Désormais, la création l’emporte sur l’infamie.

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