« Man Ray et la mode » : les années haute-couture d’un photographe emblématique

On ne connaît pas Man Ray. Si ce n’est par l’intermédiaire de deux ou trois photographies devenues, au fil du temps, des « clichés » (il faut le faire pour des photographies) du surréalisme : Nancy Cunard vers 1920, Les larmes de 1932, Masque de nacre et d’ébène du 1er mai 1926.

Autant d’œuvres devenues les icônes d’une époque par l’effet déformant du kaléidoscope de la notoriété.

Même son nom, à lui seul, paraît quelque grosse plaisanterie qu’aurait inventée un surréaliste farceur : où voit-on un photographe s’appeler Man Ray, l’homme et le rayon, l’être et la lumière ? C’est que la réalité parfois invente autant que la fiction. Par aphérèse et apocope, et afin de mieux noyer des origines juives-russes parfois difficiles à assumer, le père a réduit le nom de Radnitsky au seul Ray, beaucoup plus américain. Il reste au fils à simplifier son prénom Emmanuel en Man. Le père a gommé le cœur du nom, le fils ne garde que le cœur de son prénom : à eux deux, ils composent un nom irréel, parfait pour un surréaliste !

Lui, Man Ray, se veut peintre, mais il lui faudra faire preuve de patience. A son arrivée à Paris, il est accueilli par Marcel Duchamp, qu’il avait connu à New-York, et par les autres membres du surréalisme. Accueilli à bras ouverts, certes, mais cela ne suffit pas pour vivre. La peinture attendra.

C’est par la petite porte, à peine entrouverte par Paul Poiret, que Man Ray entre dans l’univers de la haute-couture, et en qualité de photographe. Mais dans ce milieu, il va savoir se faire, rapidement, un nom.

On est entre les deux guerres, entre les deux malheurs, entre les éclats d’obus de Verdun et les oiseaux de malheur du nazisme, et l’on danse, à cette époque-là, sur le cratère du volcan provisoirement endormi. C’est une époque d’audaces et d’inventions dans tous les domaines, ceux de l’art comme ceux de la pensée. La haute-couture en particulier s’invente elle-même, elle ose et innove, et l’on en a pour exemple dans l’exposition la prolifique opposition entre Coco Chanel et Elsa Schiaparelli. Man ray accompagne ces innovations et lui, de son côté, invente purement et simplement la photo de mode. D’un objet purement utilitaire, simplement destiné à alterner avec le dessin, fréquemment employé dans les magazines spécialisés, Man Ray va faire une technique à part entière, nouvelle, élégante, étonnante. Il multiplie les méthodes (rayogramme, solarisation, photomontage, tirage par contact, contre type…) au service d’un même objectif : magnifier les modèles, les mannequins, les couturiers.

La haute couture devient un univers de luxe très haut de gamme. Beaucoup d’argent est désormais en jeu, que contrôlent les financiers, les investisseurs et les publicitaires. Il est amusant de constater comme, entre le monde des publicistes et le monde artistique, on fait, à cette époque-là, échange de bons procédés : tandis que les uns, ayant repéré l’émergence et l’intérêt du surréalisme tentent d’en récupérer les audaces, les autres, les artistes, profitent d’œuvres de commande pour financer leur volonté créatrice. Du moins est-ce ainsi, visiblement, que procède Man Ray. Puisque manne financière il y a, autant qu’elle serve à tous, artistes compris.

Et c’est ainsi que, durant l’entre deux guerres, Man Ray acquit une certaine notoriété. Mais les printemps ne durent guère et, pour Man Ray, vint le temps de l’exil. Après la guerre, lorsqu’il revint à Paris, la parenthèse enchantée de la haute-couture s’était refermée pour lui, et commença une autre vie, un autre destin, celui désormais du peintre ressuscité.

L’exposition que nous propose le Musée du Luxembourg est raffinée et élégante ; elle permet d’alterner photographies, modèles et coiffures. Il ne faudrait cependant pas oublier qu’elle n’est pas consacrée à l’œuvre entière de Man Ray, mais simplement à cette parenthèse que fut, pour lui, la mode.

Man Ray et la mode, jusqu’au 17 janvier 2021 au Musée du Luxembourg.

Si vous désirez aller plus loin :

Vous souhaitez réserver une visite guidée pour cette exposition ? Notre partenaire Des Mots et des Arts est à votre service.

Consultez les dates disponibles

Man Ray et la mode, le hors-série, aux éditions Connaissance des Arts. 68 pages. 11,00€.
Man Ray et la mode, le catalogue de l’exposition, aux éditions RMN. 248 pages. 39,00€.
Man Ray, de Serge Sanchez, aux éditions Folio. 368 pages. 9,70€.
Man Ray, de Katherine Ware et Manfred Heiting, aux éditions Taschen. 251 pages. 19,99€.

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