« La désobéissance d’Andreas Kuppler » : un couple à la dérive sur fond de propagande olympique

Ce roman s’ouvre sur un rêve et s’achève par un cauchemar. Le rêve, c’est celui que fait Andreas Kuppler une nuit de 1936, dans l’hôtel où il est descendu pour assister au Jeux olympiques d’hiver, en tant que journaliste spécialisé.

Et ce rêve, bien qu’Andreas s’intéresse aux travaux de Freud, il a bien du mal à l’interpréter. Le cauchemar, c’est celui que va vivre son épouse, Magdalena, et dont elle n’aura pas le temps de saisir le sens. Deux journées, précédées de ce « prélude nocturne », à peine interrompues par un « intermède nocturne », au cours desquelles l’existence tout entière des époux Kuppler va basculer.

Andreas et Magdalena sont mariés depuis un nombre respectable d’années, mais leur couple est en sursis : ils se sont aimés, ils ont été heureux, mais, au final, ils sont incompatibles, irréconciliables, d’avance condamnés. Et ce qui les ronge, c’est l’absence d’enfant. Mais cette infertilité n’est que le symptôme d’un mal beaucoup plus grave et qui ne ronge pas que le seul couple, mais l’Allemagne des années trente, et le monde dans son intégralité : Hitler et le régime nazi.

Andréas et Magda sont les deux facettes d’une même réalité, les deux façons d’aborder le problème, un couple sans avenir, Castor et Pollux devenus ennemis héréditaires. Alors que Magda accepte le nazisme, y adhère, en pardonne les excès, Andréas, lui, prend conscience qu’il ne suffit pas de faire semblant, d’ignorer, d’oublier. Leur divorce, c’est le divorce de l’Allemagne avec elle-même : la Terre de Bach et de Goethe ne peut pas tolérer l’existence de Goebbels et d’Eichmann.

Pourtant Andreas a été modéré, autant qu’on puisse l’être. Il a fait un mariage heureux, il mène sa carrière avec intelligence et ferveur, il a sa carte du parti nazi. Mais il réalise que, comme l’aurait analysé Jean-Paul Sartre, ne pas choisir, c’est déjà choisir. Il réalise qu’il ne peut pas renoncer à son manuscrit consacré à Jess Owens, sprinter phare de l’équipe américaine ; il réalise qu’il ne peut pas renoncer à Susanna Rosenberg, fût-elle juive ; il réalise qu’il aurait dû s’opposer avec davantage de vigueur à ce groupe de jeunes S.A. qui s’autorisait, dès 1933, à malmener une commerçante du quartier sous le prétexte qu’elle était juive.

Ce roman habile et palpitant nous mène aux côtés d’un allemand ordinaire pris dans une tourmente extraordinaire. Il n’est pas un héros surpuissant et capable de grandes décisions téméraires, il est l’homme de tous les jours et il est confronté au fascisme vu à hauteur d’homme.

On ne saurait suffisamment dire à quel point ce roman tombe à pic. Certes, il est historiquement daté, et il nous transporte dans l’Allemagne d’il y a quatre-vingts ans, mais les problématiques évoquées sont on ne peut plus actuelles. Nous vivons une époque où, sous prétexte de pandémie ou d’autres, les frontières se ferment et les murs s’érigent : les nationalismes sont triomphants et, sous couleur de rendre sa fierté à la Patrie, on rejette, on ostracise, on persécute.

Andréas Kupper est parvenu à saisir le sens de son rêve : il s’agit, parfois, de désobéir, pour conserver à l’homme sa dignité et à la morale son utilité.

La désobéissance d’Andreas Kuppler, de Michel Goujon, aux éditions Héloïse d’Ormesson. 205 pages. 18,00€.

Si vous désirez aller plus loin :

Les aigles et la colombe, de Jacqueline Briskin, aux éditions Archipoche. 740 pages. 9,80€.
Des jeux et des crimes : 1936, le piège blanc olympique (coffret 2 volumes), de Monique Beriloux, aux éditions Atlantica. 842 pages. 54,50€.

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