« Là-bas, de l’autre côté de l’eau » : une fresque historique sur les deux Algéries…

Marthe Surgenti gère son huilerie et vit seule avec ses deux filles, Marie-Christine et France, et sa femme de ménage Aïcha. Bien que les émeutes secouent déjà le pays — le mari de Marthe a perdu la vie dans un attentat —, un calme relatif semble encore régner sur Alger en cette année 1956. 

Marie-Christine, la petite dernière, est particulièrement proche de sa mère, à l’inverse de France, l’aînée, qui ne rêve que de Paris, de ses cafés, de ses théâtres où elle espère bien faire carrière. La jeune fille dévore le tout premier roman d’une certaine Françoise Sagan, Bonjour tristesse, et fréquente secrètement Moktar, qu’elle connaît depuis l’enfance.

Tout pourrait presque se dérouler pour le mieux si les tensions et les combats débutés deux ans plus tôt n’allaient pas en empirant. La situation devenant extrêmement tendue et la vie des citoyens étrangers menacée, l’armée française décide d’envoyer des troupes pour mater les insurgés et protéger ses ressortissants.

C’est à ce moment-là que Jean-Paul, guitariste originaire de Montrouge, débarque dans la vie de la famille Surgenti. Le jeune soldat est chargé de protéger l’huilerie et ses propriétaires.

« Le fil rouge que nous allons tirer est un fil rouge familial car pour moi, l’Algérie est une histoire de familles qui se sont toutes côtoyées, aimées et détestées pendant toutes ces années. »

Pierre-Olivier Scotto, auteur.

Mais si avec le jeune homme arrive une certaine sécurité et une promesse de rétablissement de la situation, ses récits sur Paris et sa scène artistique vont faire chavirer le cœur de la jeune France. Une idylle naissante que Moktar ne va pas tarder à découvrir, attisant encore un peu plus sa haine vis-à-vis des français. Le fossé est désormais trop large pour être comblé.

La guerre est déclarée ! Après le temps de l’espoir vient le temps de la vengeance.

Depuis quelques années, le théâtre La Bruyère nous a habitué aux épopées sur ses planches — Les cavaliers, de Joseph Kessel, Suite Française et Tempête en juin, d’Irène Nemirovski… —, alors on ne sera pas surpris de retrouver ici une fresque épique montée tel un long-métrage.

Durant plus de deux heures, au fil de dizaines de « plans-séquences » qui se succèdent à un rythme effréné, les spectateurs  — dont certains sont peut-être venus ici pour chercher des réponses à leurs questions — passent tour à tour du Bar de la Vache Noire à Montrouge aux caches du FNL dans la casbah d’Alger, de l’huilerie de Marthe Surgenti aux bords de plage, des champs d’oliviers aux salles de torture de l’armée française…

Écrite en s’appuyant sur des témoignages de l’époque — appelés, combattants du FNL, familles pieds noirs, hommes politiques… —, des projections en fond de scène présentent des images d’archives ou des photos de famille accentuant encore l’aspect historique de la pièce. Quant à la distribution, elle est sans nul doute à la hauteur d’un tel défi. Douze comédiens débordant de talent et d’énergie, habités par leurs personnages, se partagent une scène millimétrée et à l’exploitation optimale. On notera entre autres la présence d’Isabelle Andréani dans le rôle de Marthe, vue dans Qui es-tu Fritz Haber ?, pièce déjà mise en scène par Xavier Lemaire au théâtre Hébertot en 2016. 

A une époque où beaucoup s’attellent à ré-écrire le passé et où l’on semble s’excuser en permanence pour l’Histoire, Là-bas, de l’autre côté de l’eau évoque sans concession, sans parti-pris, ces dix années de guerre civile qui frappèrent l’Algérie, suivies de l’exode massif de familles qui vivaient là depuis des générations. 

« Donner à notre jeunesse un regard sur son passé qui peut nous permettre, en comprenant mieux les enjeux émotionnels de ces événements, pourquoi cinquante ans plus tard, nous avons toujours des cadavres dans nos placards ! Cadavres que sont le racisme, l’identité, la légitimité, l’oubli, la patrie, le devoir… Dénouer les ressorts des colères, ouvrir la porte aux paroles enfouies, oser par le prisme d’une représentation de tenter de retisser un lien de fraternité, voilà les enjeux d’une pièce de théâtre !  »

Xavier Lemaire, metteur en scène.

Espérons donc que cette pièce contribue à la réconciliation, et aide à comprendre l’Histoire. Une histoire de l’Algérie française. Une histoire française. L’histoire de deux peuples.

Là-bas, de l’autre côté de l’eau, actuellement au théâtre La Bruyère.

Si vous désirez aller plus loin :

De la conquête à la rébellion : ce qu’était l’Algérie française, aux éditions Le Figaro Histoire. 13 pages. 8,90€.
Les français d’Algérie de 1830 à aujourd’hui, de Jeannine Verdès-Leroux, aux éditions Fayard. 512 pages. 10,00€.
Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954), de Benjamin Stora, aux éditions La Découverte. 128 pages. 10,00€.
Comment l’Algérie devint française, de Georges Fleury, aux éditions Tempus Perrin. 544 pages. 11,00€.
L’adieu. 1962, le tragique exode des français d’Algérie, de Jean-Baptiste Ferracci, aux Éditions de Paris. 207 pages. 22,00€.

Pour la jeunesse :

Algérie, une guerre française. Tome 1: Derniers beaux jours, de Philippe Richelle et Alfio Buscaglia, aux éditions Glénat. 80 pages. 15,95€.
Algérie, une guerre française. Tome 2 : L’Escalade fatale, de Philippe Richelle et Alfio Buscaglia, aux éditions Glénat. 56 pages. 14,95€.

Partagez vos impressions

Cet article vous intéresse ? Laissez un commentaire.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.