« Les cahiers noirs » de Shlomi Elkabetz : kaddish pour Ronit

Dans un taxi parisien, un homme apprend par un voyant marocain que sa soeur est sur le point de mourir. Pour tenter de déjouer la prédiction, le frère entreprend alors un voyage fictif entre le Maroc, Israël et Paris.

L’ancien président Shimon Peres l’a qualifiée d’ « ambassadrice culturelle extraordinaire pour l’État d’Israël. » Selon lui, Ronit Elkabetz avait « une personnalité unique qui combinait le talent de l’écrivain et celui de comédienne« .

Les Cahiers Noirs I et II, réalisé par Schlomi Elkabetz, était projeté cette année lors du 22ème Festival du Cinéma israélien de Paris au Majestic Passy.

Schlomi Elkabetz, également acteur de la série Our Boys, et Miriam, sa mère, étaient présents pour parler de ce film d’un genre nouveau qualifié par Ariel Schweitzer, modérateur de la séance, d’ « élégie cinématographique ». Ronit Elkabetz figure d’ailleurs elle aussi au générique de ce film, co-autrice de cette longue histoire de 3h29 en deux parties, et composée de trente ans d’archives familiales et cinématographiques.

Présenté en 2021 au Festival de Cannes en sélection officielle hors compétition, ce documentaire nous emmène au cœur de la famille Elkabetz, et nous montre au quotidien Ronit et sa mère Miriam.

Pourquoi le titre Les Cahiers Noirs ? Schlomi Elkabetz nous explique qu’à la différence d’un journal intime, un cahier est un mélange du quotidien et d’idées créatives. Et le noir est la couleur ultime, il absorbe tout, les souvenirs et les histoires qu’il a souhaités projeter à l’écran.

En même temps que défilent les images d’archive, Schlomi lit en voix off des passages du journal intime de Ronit, qui était en symbiose avec son frère jumeau. Réalisateur dans l’âme, Schlomi filme pour créer un temps nouveau. Les Cahiers Noirs constitue ce temps nouveau, la création d’une conversation avec sa sœur qui n’a jamais eu lieu.

Pour Schlomi Elkabetz, le travail du réalisateur consiste à annuler la frontière entre la vie et le cinéma pour créer ou sublimer. La vie commence où l’art s’arrête, et l’art commence là où la vie s’arrête.

Il fallut cinq ans à Schlomi Elkabetz pour réussir avec Joëlle Alexis le montage sidérant de ce film composé de six-cents heures de rush. Une montage quotidien qui, lorsqu’il se termina, fut pour le réalisateur une seconde séparation.

Tout le long du film, la musique de Vertigo, composée par Bernard Hermann, compositeur des musiques des films d’Alfred Hitchcock ainsi que celle du film Le Fantôme de Mrs Muir, de Joseph L. Mankiewicz, nous plongent dans cette histoire. Vertigo parlait du fantasme d’un homme qui voulait retrouver dans une autre femme, une femme aimée et disparue. La musique des Cahiers noirs crée à son tour une atmosphère de présence-absence d’une femme : Ronit Elkabetz.

Les archives de plateau particulièrement dures nous font découvrir la difficulté du métier d’actrice. Sur le tournage, Ronit se donne corps et âme pour son rôle, jusqu’à en être totalement vidée. Le personnage de Viviane l’habite totalement et la trilogie nous parle aussi de son histoire familiale. Ronit est Viviane — en fait sa mère Miriam —, une femme soumise toute sa vie à son mari, originaire du Maroc, où elle vécut dans la plus grande pauvreté.

Ronit, féministe, a tout fait pour devenir une actrice professionnelle, s’affranchir de son éducation et être une femme libre. Son frère l’a filmée tout le long de sa vie, et nous la découvrons en tant qu’actrice-réalisatrice-scénariste mais aussi en tant que fille, sœur, et mère.

Courageuse, pleine de vie, elle devait interpréter la célèbre cantatrice dans Les derniers jours de Maria Callas, réalisé par son frère. Le cancer l’emportera avant.

Bouleversant, Les Cahiers Noirs est une déclaration d’amour d’un frère à sa sœur, mais aussi d’un fils à sa mère.

Pendant le Festival du Cinéma Israélien de Paris, le Maroc fut également abordé dans deux autres documentaires, Mizrahim, de Michale Boganim, et Menahem Begin: Peace And War, de Levi Zini.

Yaël Yermia – Auteure, créatrice du blog movieintheair.com et du podcast Falafel Cinéma.

Si vous désirez aller plus loin :

Le nouveau cinéma israélien, d’Ariel Schweitzer, aux éditions Yellow Now. 15,00€.

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