« New York la juive » : 3. Le Lower East Side, point de chute historique

Le quartier Juif du Lower East Side, à Manhattan, s’étend de Houston street à Delansey et Pike, et longe l’East River.

Jadis habité par une population immigrée et défavorisée, ces quelques rues étaient le repère de chefs de la mafia comme Al Capone.

Centre névralgique de la culture juive dans lequel vivaient jusqu’à 500.000 Juifs originaires d’Europe de l’Est – de 1880 à 1924, 2,5 millions de Juifs débarquent aux Etats-Unis, dont une très large majorité restera à New-York –, ses rues et ses « tenements » où s’entassaient des dizaines de familles étaient considérés comme une étape obligatoire par nombre d’immigrants, un premier point de chute en Amérique.

Si aujourd’hui d’autres communautés y ont trouvé refuge, des traces de l’ancienne New York juive restent visibles et très présentes, sous réserve de les chercher un peu.

Sur St. James Place tout d’abord, à quelques minutes de l’hôtel de ville et du métro Chambers street, se trouve le plus ancien cimetière Juif des Etats-Unis. Autrefois situé en-dehors de la ville, la synagogue Shearit Israël, jouxtant le cimetière, accueillait au milieu 17ème siècle les communautés juives portugaises ou espagnoles, chassées d’Espagne par les rois catholiques.

Derrière des grilles de fer forgé, quelques tombes sont encore visibles et deux plaques reviennent sur l’histoire du lieu, qui fut également fortifié pour défendre la ville lors de la guerre de Sécession.

Non loin de là, à proximité des voies rapides menant sur le pont de Manhattan, la magnifique synagogue d’Eldridge street abrite le musée du même nom. Première synagogue bâtie par des Juifs américains en 1887, elle accueillait surtout des communautés venant d’Europe de l’Est, et plus particulièrement de Russie.

Si elle connut son âge d’or au début du 20ème siècle, les quotas d’immigration imposés par le gouvernement, et la crise de 1929 affectant considérablement la fortune de la congrégation lui firent bientôt perdre son faste. Fermée dans les années 50, elle fut abandonnée et livrée aux ravages du temps durant plusieurs décennies. Mais en 1996, le bâtiment est déclaré « lieu historique » et échappe à la démolition. Une vaste opération consistant à lever des fonds en vue de sa restauration débute alors.

25 ans de travaux et 20 millions de dollars plus tard, la synagogue d’Eldridge street pouvait enfin rouvrir ses portes aux fidèles, le clou de la restauration intervenant en 2010 avec la pose du superbe vitrail de l’artiste Kiki Smith.

L’entrée pour les visiteurs se fait par le sous-sol, et mène à une première salle de prière, utilisée pour les offices de shabbat. Ici, comme dans la synagogue principale juste au-dessus, de très nombreux meubles et objets ont été conservés afin de restaurer l’atmosphère originelle du lieu. Au centre de la pièce se dresse la teva, qui a la particularité de posséder, intégrée dans sa balustrade de bois, une petite jarre dans laquelle on plaçait du tabac lors de certaines fêtes particulièrement longues. Comme il est interdit de fumer lors des fêtes religieuses, l’odeur ainsi dégagée permettait aux fumeurs de mieux supporter la privation.

Tout autour, un petit musée présente des objets de culte – rouleaux de la Torah, rimonim, menorah… – invitant à découvrir le judaïsme, et revient également sur l’histoire du monument à travers des objets d’origine comme une boite à tsédaka, les étoiles de David qui ornaient les coupoles, des restes des fenêtres en bois, des tickets pour les offices de Rosh HaShana, l’acte de vente du terrain datant de 1886, le « minute-book » dans lequel étaient rapportés tous les événements de la communauté de 1890 à 1904, ou encore la seule reproduction existante montrant une gravure de la synagogue datant de la fin du 19ème siècle.

Les escaliers menant au rez-de-chaussée et à la synagogue principale sont eux aussi ceux d’origine, tout comme les lave-mains situés de part et d’autre de l’entrée.

Majestueuse et entièrement décorée dans le style mauresque, avec des éléments romantiques et gothiques, comme la rose ornant la façade, Peter et Francis Herter, allemands catholiques, signent avec la synagogue d’Eldridge Street leur premier projet pour un bâtiment religieux. Aujourd’hui de nouveau en fonction pour les fêtes principales, elle peut accueillir jusqu’à 750 fidèles.

S’élevant à plus de quinze mètres du sol, la synagogue et son dôme central sont dominés par le magnifique vitrail de l’artiste Kiki Smith, seul élément contemporain du bâtiment. Composé de 1.200 pièces et représentant une nuit étoilée dont le centre est une étoile de David tridimensionnelle, il laisse pénétrer une lumière aux tons bleus se mêlant aux rouges, aux jaunes et aux turquoises des 67 vitraux courant sur deux niveaux.

Des peintures murales et des trompe-l’œil ornent les murs, et il intéressant de voir, à l’étage des femmes, un morceau de paroi laissé tel quel et témoignant de l’état de dégradation du bâtiment avant sa restauration. En vous tenant à la place d’un fidèle, vous pourrez sentir sous vos pieds les déformations des parquets, causées par les mouvements des va-et-vient.

Non loin de là, au numéro 15 de Pike street, l’ancienne synagogue Sons of Israel Kalvarier, de style néo-roman, était l’une des plus importantes du Lower East Side avant d’abriter le temple bouddhiste Sung Tak. En haut de son escalier, c’est donc aujourd’hui un bouddha de céramique blanche qui accueille les fidèles. Un peu plus loin sur la gauche, Henry street abritait les « tenements » où s’entassaient les immigrants. De rares traces sont aujourd’hui encore visibles sur certains immeubles, dont le numéro 135 qui abrite la congrégation des Enfants de Moise.

Sur East Broadway, face au Strauss Square, l’imposante façade du Forward Building, surmontée d’une colonnade et du nom du journal en caractères hébraïques, dresse fièrement ses 7 étages. Fondé en 1897, il était le plus important quotidien en yiddish de la ville, vendant jusqu’à 200.000 exemplaires dans les années 20. Dans les années 80, les jeunes générations ne parlant plus le yiddish, le Forward dût imprimer en anglais, vendre son immeuble, et devenir hebdomadaire.

Sur Broome street, la synagogue Kehila Kedosha Janina a été construite en 1926-1927 par des Juifs de Grèce. Toujours en activité, sa belle façade de briques jaunes est rehaussée d’étoiles de David et d’ornements hébraïques, dont les Tables de la Loi encadrées des lions de Judas.

Sur Ludlow street ou Rivington street, aussi appelée Rabbi Yaakov Spiegel way, on trouve également d’autres synagogues ainsi que d’anciennes façades d’écoles talmudiques, dont celle de la première congrégation américaine de Roumanie.

Enfin, avec celle d’Eldridge street, la synagogue de Norflok street est l’une des plus impressionnantes. Reconvertie en atelier d’art, son imposante façade, dominée par un vitrail flanqué d’une énorme étoile de David, témoigne de sa gloire passée. Repeinte dans un style répondant à ses nouvelles fonctions artistiques, ses couleurs allant du rosé au carmin, en passant par le jaune et le vert pâle la rendent facilement repérable. 

Si vous désirez aller plus loin :

Landmark of the spirit : The Eldridge Street synagogue, d’Annie Polland, aux éditions Yale University. En anglais. 192 pages. 33,29€.
Beyond the facad e: A synagogue, a restoration, a legacy, collectif, aux éditions Scala. En anglais. 176 pages. 23,28€.
L’âge d’or des synagogues, de Dominique Jarassé, aux éditions Herscher. 172 pages. 50,00€.
Lower East Side, d’Eric Ferrara et David Bellel, aux éditions Arcadia. En anglais. 95 pages. 20,37€.
Lower East Side memories – A Jewish place in America, de Hasia R. Diner, aux éditions Princeton University. En anglais. 240 pages. 28,93€.
The Messiah of the Lower East Side, de Laurence Schwartz, aux éditions CreateSpace Indep. En anglais. 234 pages. 9,79€.
Le Juif de New York, de Ben Katchor, aux éditions Rackham. 60 pages. 23,40€.
Un monde vacillant, de Cynthia Ozick, aux éditions Points. 440 pages. 8,10€.
L’homme au complet blanc: du Caire à New York, l’exil d’une famille juive, de Lucette Lagnado, aux éditions Métropolis. 350 pages. 26,36€.
Le livre et l’épée, de David Weiss Halivni, aux éditions du Rocher. 178 pages. 18,30€.
Yiddish Connection, de Rich Cohen, aux éditions Folio. 475 pages. 9,20€.
Les premiers Juifs d’Amérique (1760-1860) : L’extraordinaire histoire de la famille Hart, de Denis Vaugeois, aux éditions Presse Universitaire de la Sorbonne. 376 pages. 24,00€.
Les Juifs américains, d’André Kaspi, aux éditions Points. 313 pages. 9,10€.
Histoire des Américains Juifs : De la marge à l’influence, de Françoise Ouzan, aux éditions André Versaille. 260 pages. 20,20€.
Les Juifs américains et Israël, d’Annie Ousset-Krief, aux éditions L’Harmattan. 214 pages. 21,00€.

 

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