« Couleurs de l’insouciance » : images et dessins des enfants de la Maison d’Izieu…

Comme chaque année, la Bibliothèque Nationale de France présente au public une sélection d’œuvres issues de sa collection.

En cette année 2022, ce sont trois dessins et dix-neuf lettres – dont deux provenant des archives de Serge et Beate Klarsfeld – qui sont au cœur de l’exposition Couleurs de l’insouciance. Paroles et images des enfants de la maison d’Izieu.

En octobre 1940, suite à la loi sur le Statut des Juifs, vont ouvrir en « zone libre » les premiers camps d’internement français : Agde, Gurs, Rivesaltes… Afin de venir en aide aux adultes et enfants incarcérés dans des conditions déplorables, des œuvres de bienfaisance se chargent d’apporter leur aide, dont l’OSE, l’Oeuvre de Secours aux Enfants, créée dans la Russie tsariste de 1912. Onze ans plus tard, l’OSE fonde une organisation internationale qui sera présidée par Albert Einstein.

Sabine Zlatin, née Sabina Chwatz en 1907 à Varsovie, épouse en 1928 Miron Zlatin, un juif de Russie. Le couple sera naturalisé français en 1937, quelques mois seulement avant le début de la Seconde Guerre mondiale. La Villa Anne-Marie, dans l’Ain, fut choisie par Sabina Zlatin sur proposition du sous-préfet Pierre-Marcel Wiltzer pour devenir un lieu de refuge pour des enfants juifs.

Ce que l’on nommera plus tard « la maison d’Izieu » va prendre en charge 105 enfants pour une durée allant de quelques semaines à quelques mois, jusqu’à cette matinée tragique du 6 août 1944 où, sur ordre de Klaus Barbie, la Gestapo investit les lieux et rafle tous les occupants. Quarante-quatre enfants et sept éducateurs seront déportés à Drancy puis Auschwitz, où tous furent assassinés.

Seule Léa Feldblum, qui se faisait alors appeler Marie-Louise Decoste, reviendra des camps. Pour ne pas abandonner les enfants, elle avait choisi de dire la vérité sur son identité à la Gestapo.

Un seul enfant, non juif, sera miraculeusement sauvé car il avait été reconnu par des membres de sa famille juste après la rafle, et a ainsi échappé à la déportation. Trente-quatre des quarante-quatre enfants raflés seront déportés par le convoi 71, le même que Simone Veil. Ils seront assassinés dès leur arrivés, ainsi que trois accompagnants.

Sabine Zlatin, absente lors de la rafle, gagne alors la zone occupée et entre en Résistance. Le conflit terminé, elle est chargée d’avril à septembre 1945 de la gestion du « Centre Lutetia », point d’arrivée des rescapés des camps de concentration et d’extermination. 

« Il est bien naturel que ce soit toi la directrice du Lutetia. Après ce que tu as souffert et ce que tu as fait, ce poste te revient. »

Agnès Bidault à Sabine Zlatin.

Sabine Zlatin n’apprendra qu’en juillet 1945 le sort des enfants et de leurs éducateurs, ainsi que celui de son époux, Miron Zlatin, arrêté en mai de l’année précédente, déporté en Estonie par le convoi 73, et fusillé deux mois plus tard. 

Trois semaines après la rafle, Sabine Zlatin retourne sur les lieux et récupère les lettres, photos, dessins laissés par les enfants, comme un premier témoignage. Elle fonde dans les années 80 l’association du Musée Mémorial d’Izieu, et donne en 1993 tous ses documents personnels et collectifs à la Bibliothèque Nationale de France.

Un témoignage émouvant et exceptionnel du quotidien de l’époque, dans un refuge où régnait l’insouciance. 

Avec l’exposition Couleurs de l’insouciance. Paroles et images des enfants de la maison d’Izieu, c’est la première fois que ces documents reviennent sur les lieux mêmes où ils ont été créés.

« Pour leur plus grande part, [ils] ont reposé près de quarante-cinq ans chez moi.. Soigneusement gardés, jamais regardés car trop lourd de souvenirs. Ils constituent le témoignage irrécusable, j’allais écrire vivant, de ce que furent les derniers mois de la vie de quarante-quatre enfants juifs […] et leurs éducateurs, jusqu’à la journée du 6 avril 1944. »

Sabine Zlatin à propos de ses archives, léguées à la BNF en 1993.

Dans le catalogue On jouait, on s’amusait, on chantait. Paroles et images des enfants d’Izieu. 1943-1944, ouvrage accompagnant cette exposition-événement, la BNF et la maison d’Izieu proposent un recueil rare et poignant, qui témoigne de la vie quotidienne à Izieu avant cette journée fatale du 6 avril 1944. 

Un complément tout aussi émouvant peut être apporté avec Histoire d’Ivan Tzarawitch, un leporello – livre-frise – contenant une magnifique bande dessinée créée par les enfants. Une idée qui fut suggérée par le cuisinier de la maison, Philippe Deha. Dessinée au crayon de couleurs sur des feuilles quadrillées de cahier d’écolier, cette épopée nous emmène dans la plaine du Turkestan, en plein guerre entre Cosaques et Tatares. 

« On fait des films. Mois, je les colores puis un autre qui les désine on a déjà fait aloa avec Tarzan, poursuite du bandit. Ses jolis. Ces un cuissetôt qui a fait le cinéma. Il est bien. »

Extrait d’une lettre de Joseph Goldberg à sa mère. 

Dessiné entre 1943 et 1944, restauré par la BNF en 2019, cet ouvrage unique témoigne de l’imaginaire d’enfants insouciants pris dans le chaos de l’Histoire.

Couleurs de l’insouciance. Paroles et images des enfants de la maison d’Izieu, jusqu’au 6 juillet à la Maison d’Izieu – Mémorial des enfants juifs exterminés.

Si vous désirez aller plus loin :

Paroles et images des enfants d’Izieu. 1943-1944, ouvrage collectif aux éditions BNF. 221 pages. 29,00€.
D’Izieu à Auschwitz. L’histoire de deux enfants dans la Shoah, de Pierre-Jérôme Biscarat, aux éditions Librio. 96 pages. 3,00€.
L’institutrice d’Izieu, de Dominique Missika, aux éditions Points. 240 pages. 6,90€.
Maison d’Izieu : l’exposition permanente, ouvrage collectif, aux éditions Fage. 191 pages. 15,00€.
Mémoires de la « Dame d’Izieu », de Sabine Zlatin, aux éditions Gallimard. 180 pages. 25,99€.

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